Paris, le 30/08/2013
J’ai la chance d’avoir une excellente constitution et une nature dynamique.
Jusqu’à ma première maternité, je pesais 52kg pour 1m72. Mince de nature, je mangeais ce que je voulais, mais faisais également beaucoup de sport à raison de 10 à 20h de danse classique ou modern jazz par semaine. Après la naissance de mes deux enfants, j’ai pris un peu de poids, mais ai au fil du temps maintenu un poids de forme à 58kg.
En août 2004, je constate en regardant des photos de moi prises lors d’un événement familial que j’ai pris du poids, surtout au niveau du visage et du tronc. Vérification faite, j’ai effectivement pris 5 kg. Très vite, je décide de prendre les choses en main, car cette prise de poids un peu soudaine et surtout sans raison apparente - car je n’avais pas changé mes habitudes alimentaires et continuait à faire pas mal de sport - m’inquiétait.
Une amie me conseille d’aller voir une nutritionniste et endocrinologue, afin de vérifier que je n’ai pas de problème hormonal et pour m’accompagner dans un régime approprié.
Les années passent. Je ne perds pas de poids. Au contraire. Au fil du temps, des problèmes de santé apparaissent.
D’abord la tension, qui augmente bizarrement. Je consulte immédiatement un cardiologue qui me conseille de perdre du poids ( !!) et de faire plus de sport. Mais le problème qui devient de plus en plus difficile à gérer, c’est le fait que je ne dorme plus, ou plus assez. Impossible de me coucher avant minuit et à 5 ou 6h du matin, je suis réveillée, incapable de me rendormir. Je mets cela sur le compte du stress, car mon travail dans une agence de publicité est très prenant. Je voyage beaucoup, je rentre souvent tard, et je dois tout de même élever mes enfants (pré-adolescents) et gérer ma maison.
Aux problèmes de poids, de tension élevée et de réveils intempestifs s’ajoutent ensuite, (je les liste en vrac), des cheveux constamment gras, une sudation excessive, des hématomes qui apparaissent au moindre choc et ne se résorbent que très lentement, une pilosité qui apparaît au niveau du visage, et des douleurs nombreuses dans le dos et les côtes. En 2008, je suis en très piteux état. Poids : 75kg, sommeil : 5 h par nuit (alors qu’il m’en faudrait 8 ou 9h), tension 15/20, douleurs dorsales, cervicales et intercostales persistantes, etc. Je continue à travailler dur, mais cela devient de plus en plus difficile. Je dois rentrer chez moi à l’heure du déjeuner pour faire une sieste.
La gynécologue qui me suit depuis 20 ans, inquiète, me recommande de faire des tests hormonaux. Je change de pilule. J’arrête la pilule et passe au stérilet. Je fais vérifier ma tyroïde. Rien ne semble anormal. Mon incompréhension grandit et mon inquiétude aussi.
Evidemment qui dit manque de sommeil dit irritabilité, mauvaise humeur, anxiété et donc comportement ingérable pour mes proches. Je ne supporte plus aucun des petits travers de mon mari et mes enfants. Je crie constamment, je m’énerve et perds peu à peu ma patience pour devenir une espèce de furie qui crie et pleure sans cesse. Au fil du temps, j’ai l’impression de me perdre, de NE PLUS ÊTRE MOI MÊME. Je vais donc consulter un psychothérapeute, espérant qu’il puisse m’aider à comprendre ce qui m’arrive et me retrouver telle que je suis réellement.
Inutile de préciser que côté libido c’est le calme plat. Je ne dors plus dans la même chambre que mon mari ronfleur de haut niveau, pour éviter le risque de dormir encore moins.
Février 2008 : une amie - qui n’est pas toubib, mais docteur en pharmacie et écrit dans la presse médicale - que ne j’avais pas vue depuis quelques mois, vient diner à la maison avec son mari. Le lendemain matin, elle m’appelle, très embêtée. Toute la nuit elle a pensé à moi en constatant que mon visage avait beaucoup gonflé, ainsi que mon ventre (équivalent à celui d’une femme enceinte de 8 mois). Elle pense à une maladie bizarre - qu’elle connaît bien pour avoir fait des recherches sur le sujet pour un papier - et me conseille d’aller voir sur internet les symptômes de cette maladie, qui, vous l’avez compris, est le syndrome de Cushing.
A la lecture des symptômes typiques de cette maladie je découvre que ce sont ceux qui me pourrissent la vie depuis au moins 4 ans !
Quel bonheur que de mettre un nom sur mes problèmes de santé ! Quel bonheur de découvrir aussi que la maladie n’est pas incurable, qu’il y a des traitements ! Je commence à revivre déjà.
Le jour même, je prends rendez-vous grâce à cette amie à laquelle je dois tant puisqu’elle m’a tout simplement sauvé la vie, dans un service d’endocrinologie à l’hôpital. Je vais découvrir que le syndrome de Cushing est une maladie rare, méconnue de bon nombre de médecins (et même visiblement de certains endocrinologues !) mais que cette maladie peut se soigner.
La phase des tests pour officialiser le diagnostic est donc immédiatement enclenchée. Je n’entrerai pas dans le détail des tests auxquels je suis soumise car ceux qui lisent ces lignes les connaissent probablement, et surtout ce n’est pas mon rayon. Mais dans mon cas cela s’avèrera difficile – non pas de poser le diagnostic – mais de comprendre l’origine de mon mal. Les examens effectués pour déterminer mon taux de cortisol sur 24h sont extrêmement probants. Au réveil mon taux de cortisol est très faible, mais dès que je mange celui-ci augmente de façon délirante! OK, je fabrique des quantités industrielles de cortisol, mais pourquoi ? L’IRM effectuée pour déceler un éventuel adénome hypophysaire s’avère positive. Le radiologue qui lit les résultats de l’IRM crie déjà victoire. Il a trouvé pourquoi je fabrique autant de cortisol. « Vous avez de la chance qu’on trouve du premier coup », me dira-t-il. Mais heureusement les médecins endocrinologues ne se suffiront pas de cet examen, et continueront une batterie de tests qui démonteront que 1) cet adénome n’est pas secrétant, c’est à dire qu’il n’est pas responsable de la fabrication délirante de cortisol 2) ce sont mes glandes surrénales qui sont malades. En effet, le scanner révèle des glandes surrénales hypertrophiées, ce qui est un des autres facteurs classiques de développement du syndrome de Cushing.
Bref, en avril 2008, le diagnostic est officiellement posé. Je suis atteinte d’un « syndrome de Cushing ACTH indépendant sur hyperplasie macro nodulaire bilatérale des surrénales. »
En juin 2008, après quelques mois de traitements médicamenteux malheureusement infructueux, je passe entre les mains d’un chirurgien, spécialiste des interventions pointues comme la surrénalectomie bilatérale.
L’opération sera une réussite. Je dois souligner au passage le grand professionnalisme de tous les soignants qui me prendront en charge, qu’il s’agisse de médecins, mais aussi d’aides-soignantes ou d’infirmières (extraordinaires !!). Seuls les anesthésistes n’ont pas été à la hauteur, car n’ont pas su gérer ma douleur qui fut atroce juste après l’intervention, car j’avais la moitié des côtes cassées ou fêlées, et ils auraient du anticiper le fait que 6h d’intervention sur une table très dure n’arrangeraient rien à mon cas !
L’été qui suivit mon opération fut un véritable enfer. Outre les conséquences d’une opération assez lourde, le fait de passer en peu de temps de 600mg de cortisol fabriqués par jour à 30mg/jour équivaut à un sevrage assez brutal. J’ai compris ce que vivaient les cocaïnomanes ou héroïnomanes en cure de désintoxication.
J’ai passé l’été à dormir (enfin !) et aussi à pleurer. J’avais tellement mal, vraiment mal, à cause de ces côtes fêlées ou cassées, dont la douleur masquée jusqu’alors par le cortisol s’est subitement réveillée. J’ai même de nouveau cassé une de mes dernières côtes valides (celle située au niveau du sternum) en voulant descendre dans une piscine. C’est la morphine qui m’a aidé a tenir le coup, ainsi que les conseils avisés d’un médecin généraliste trouvé en urgence sur mon lieu de vacances, qui a augmenté les doses de dérivés morphiniques, et m’a installé un bandage autour de la poitrine, pour stabiliser et protéger mes côtes.
En 2 mois j’ai perdu 19kg. Facile, puisque je ne mangeais plus et ne supportais plus la moindre goutte d’alcool.
Heureusement, petit à petit, j’ai retrouvé mes forces. Dès que j’ai pu me déplacer j’ai fait une grosse rééducation chez un kiné, en piscine. J’avais l’impression d’avoir 100 ans, tant mes muscles étaient amoindris. Mais peu à peu, tout doucement, j’ai pu recouvrer mes capacités et 6 mois plus tard je reprenais une activité professionnelle.
Aujourd’hui, en septembre 2013, c’est à dire plus de 5 ans après mon opération, je me considère guérie et ai retrouvé toutes mes capacités physiques (à part une légère ostéopénie qui se résorbe lentement). Bien sûr, je dois penser à prendre mes médicaments 3 fois par jour, et apprendre à gérer mon dosage en fonction des aléas de ma vie. C’est une petite contrainte, mais qui n’est rien au regard de toutes ces années où j’engloutissais des dizaines de médicaments par jour pour gérer les multiples maux que cette fichue maladie engendre.
Comme tous ceux qui ont eu une maladie rare, je suppose, je me demande parfois pourquoi le sort m’a désignée pour être porteuse de cette maladie. Mais plutôt que me lamenter sur mon triste sort, je me réjouis de cette renaissance, de cette nouvelle vie qui s’offre à moi.
Tout n’est pas rose, bien entendu. J’ai perdu mon boulot quelques temps après mon retour de congé maladie, et ce après 20 ans de bons et loyaux services. J’ai repris du poids aussi, car en retrouvant goût à la vie j’ai du un peu exagérer sur la bonne chère et les bons vins. Dans ma famille, les séquelles de la maladie sont lourdes. Mes enfants et mon mari ont encore le souvenir de ces années passées avec une maman ou une femme constamment fatiguée, irritée, difficile. Ils sont heureux de retrouver leur maman et leur femme en forme, joyeuse, positive et énergique, mais il reste des cicatrices. Dès que je m’énerve un peu ou que je hausse le ton, je vois le regard inquiet de mes enfants. Et avec mon mari, les traces laissées sont encore plus lourdes. Comme cela relève de l’intime je ne détaillerai pas ce point.
Pour autant, je considère que cette maladie, soignée magnifiquement par des personnes de qualité, est pour moi une chance de redémarrer ma vie sur de belles bases. C’est probablement un cliché, mais j’ai pris conscience de l’importance de savoir savourer les bons moments de la vie, petits ou grands, et de savoir également faire le tri entre l’important et le futile.
J’ai une très grande envie de vivre. Plus grande que jamais.
Sophie, 47 ans
Septembre 2013