Mise au point sur les contraceptions estroprogestatives proposée par la SFE
Depuis plusieurs semaines, des articles rapportent les effets secondaires des pilules estroprogestatives (EP). La dernière information, diffusée à la suite d’une annonce de l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) le 26 mars 2013, est que les pilules estroprogestatives provoquent chaque année en moyenne 2549 accidents thromboemboliques veineux et 20 décès prématurés de femmes.
La relation entre le risque vasculaire et la prise de pilule estroprogestative n’est pas une donnée nouvelle. En effet, la première publication d’une embolie pulmonaire sous pilule date de 1961. En 1964, trois cas de phlébites et deux cas d’embolie pulmonaire chez des femmes utilisant une pilule Enovid, contenant du mestranol, un équivalent de 105 microgrammes d’éthinyl estradiol ont été publiés dans le JAMA (EE) (1). Ces cinquante dernières années, les principales évolutions dans le développement des EP ont été la diminution progressive de la dose d’EE, l’utilisation d’estrogènes naturels et l’utilisation de différents progestatifs. La génération du progestatif dépend de leur date d’utilisation dans les EP. Les progestatifs de première génération sont quasiment abandonnés dans les pilules disponibles à l’heure actuelle en France. Les progestatifs de deuxième génération sont le lévonorgestrel et le norgestrel. Les progestatifs de troisième génération sont le gestodène, le norgestimate et le désogestrel. Les médias évoquent des progestatifs de quatrième génération. Ce terme n’est cependant pas reconnu internationalement. Cette catégorie regroupe la drospirénone, l’acétate de chlormadinone, l’acétate de cyprotérone, le dienogest et l’acétate de nomégestrol. A l’heure actuelle, dans le monde, selon les données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de 100 millions de femmes utilisent une contraception estroprogestative (2).
Il est important de distinguer au sein du risque vasculaire, le risque veineux du risque artériel. Le risque artériel lors de la prise d’une pilule EP reste exceptionnel. Des études épidémiologiques américaines et danoises ont permis de quantifier ce risque, il est respectivement de 0,67 et 0,87 pour 10 000 femmes/an pour la survenue d’un infarctus ou d’un accident vasculaire cérébral (3). Ce risque est particulièrement élevé chez les femmes qui ont une hypertension artérielle. D’après l’OMS, la prise de la pression artérielle est le seul geste clinique à effectuer lors de la prescription d’une pilule estroprogestative.
Le risque veineux, surtout de phlébite et plus rarement d’embolie pulmonaire, est le risque le plus élevé survenant suite à la prise d’une pilule EP mais il reste faible. Il est en moyenne de 4-6 pour 10 000 femmes/an (3,4). Le risque est surtout élevé lors de la première année de prise de la pilule EP puisque le risque relatif est entre 7 et 12. Ces évènements surviennent souvent chez des femmes qui ont des antécédents familiaux de thrombose et/ou qui présentent une anomalie de la coagulation sous-jacente, en particulier une mutation du facteur V Leiden. Ainsi, la principale question à poser à la patiente lors de la prescription d’EP est la notion d’antécédent personnel ou familial de phlébite et/ou d’embolie pulmonaire. Le risque de thrombose augmente nettement après 40 ans, lors d’une immobilisation prolongée et lors d’une obésité importante. La Société Française d’Endocrinologie a proposé en 2010, des recommandations concernant la prise en charge de la contraception chez les femmes à risque, en particulier les femmes à risque vasculaire (5). Le risque relatif thromboembolique des EP, entre les pilules de 3ème génération et les pilules de 2ème génération, d’après les études épidémiologiques datant des années 90 ou 2000, est de 1.7 (IC 95% 1.4-2.0). Ces données ont amené la Haute Autorité de Santé à proposer en première intention, lors d’une primo-prescription une pilule de deuxième génération (6). Ce risque relatif des pilules de 3ème génération par rapport aux pilules de 2ème génération vient d’être confirmé par une méta-analyse récente (7). Le risque veineux des EP contenant de l’acétate de cyprotérone, de la drospirénone est identique à celui des pilules de 3ème génération (7). De même, lorsque les EP sont administrés par voie vaginale ou en transdermique, le risque est identique. Le risque des pilules contenant des estrogènes naturels n’est pas encore évalué vu la disponibilité plus récente de ces molécules. Les pilules contenant uniquement des progestatifs, quelque soit la classe du progestatif, n’augmentent pas le risque veineux (7).
Il est important lors de l’évaluation du risque des EP, de replacer leur risque par rapport à d’autres risques de la vie quotidienne. A titre d’exemple, en France, en 2012, 3645 personnes ont été tuées sur les routes d’après les chiffres de la prévention routière. Il est d’autre part nécessaire de rappeler que le nombre de décès en France, en per et postpartum est d’environ 70-75 femmes par an. La majorité de ces décès reste liée à des hémorragies, mais certains sont liés à une embolie pulmonaire. Pendant la grossesse et le postpartum, le risque thromboembolique est plus élevé qu’en dehors de la grossesse, il est respectivement 20 et 300 fois plus élevé. Une notion importante est que les femmes qui présentent un évènement thromboembolique sous EP sont à très haut risque de phlébite ou d’embolie pulmonaire pendant une grossesse.
Dans l’évaluation du risque des EP, il est d’autre part nécessaire de prendre en considération le risque des grossesses non désirées et/ou les risques dus aux interruptions de grossesse. En Angleterre, en 1995, une crise identique vis-à-vis des pilules EP, appelée « pill scare », a induit une augmentation du taux d’interruptions volontaires de grossesse de 15%. De plus, une étude publiée dans le Lancet, en 2012, vient de montrer que la contraception diminue la mortalité maternelle (8). Les données ont été obtenues à partir de la Maternal Mortality Estimation Inter-Agency Group (MMEIG) de l’OMS et des données des Nations Unies, incluant 172 pays répartis à travers le monde. Selon un modèle mathématique, l’utilisation de la contraception, tous types de contraception confondus, a permis d’éviter 272 040 décès maternels. Cette diminution est essentiellement due à la diminution d’interruptions de grossesse. De plus, si toutes les femmes de ces différents pays avaient eu accès à la contraception, il aurait été possible d’éviter 104 000 décès par an, soit une réduction supplémentaire de 29% ! Cette étude montre que la prévalence de l’utilisation de la contraception est directement proportionnelle à la diminution de la mortalité maternelle.
Enfin, pour évaluer le plus objectivement possible, la balance bénéfice-risque des pilules EP, il est nécessaire de prendre en considération non seulement leur efficacité contraceptive, tout à fait démontrée, mais aussi les bénéfices non contraceptifs des pilules EP, en particulier la diminution des douleurs pelviennes, de l’abondance des saignements, de l’hirsutisme et/ou de l’acné mais aussi la diminution du risque de cancer de l’ovaire chez les femmes ayant pris une pilule EP (9).
Les évaluations récentes rapportent que depuis décembre 2012, plus de 150 000 femmes, en France, auraient arrêté leur contraception EP. Certaines auraient remplacé une EP de 3ème génération par une 2ème génération. Pour les autres, est-on certain qu’elles ont remplacé ce mode de contraception par une contraception aussi efficace ? Plutôt que d’effrayer les femmes, rendons hommage à Carl Djerassi, Margaret Sanger, Katharine McCormick et Gregory Pincus qui ont mis au point les hormones des EP et ont initié le développement des premières pilules ! Optimisons les prescriptions, mais n’arrêtons pas les pilules EP !
Professeur Sophie Christin-Maitre pour la SFE
L’auteur de cet article ne déclare aucun lien d’intérêt actuel pouvant affecter le contenu du texte
(1) Schatz IJ, Smith RF, Breneman BM, Bower GC. Thromboembolic disease associated with Norethynodrel : report of 6 cases JAMA 2004; 188: 493-494
(2) Christin-Maitre S History of oral contraceptive drugs and their use worldwide Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2013; 27: 3-12
(3) www.fda.gov/Drugs/drugSafety/ucm2777346.html
(4) Lidegaard O, Nielsen LH, Skovlund CW, Skjeldestad FE, Lokkegaard E. Risk of venous thromboembolism from use of oral contraceptives containing different progestogens and estrogen doses : Danish cohort study, 2001-2009 BMJ 2011; 343: 1-15
(5) Gourdy P, Bachelot A, Catteau-Jonard S et al. Hormonal contraception in women at risk of vascular and metabolic disorders : guidelines of the French Society of Endocrinology Ann Endocrinol 2012; 73: 469-87
(6) www.has-sante.fr/portail/ strategies de choix des méthodes contraceptives chez la femme
(7) Plu-Bureau G, Maitrot-Mantelet L, Hugon-Rodin J, Canonico M Hormonal contraceptives and venous thromboembolism: an epidemiological update Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2013; 27: 25-34
(8) Ahmed A, Li Q, Liu L, O Tsui A. Maternal deaths averted by contraceptive use: an analysis of 172 countries Lancet 2012; 380: 111-125
(9) Collaborative group on epidemiological studies on ovarian cancer Ovarian cancer and oral contraceptives: collaborative reanalysis of data from 45 epidemiological studies including 23,257 women with ovarian cancer and 87,303 controls Lancet 2008; 26:303-14.
© SFE Mars 2013