La lettre Thyroide mars 2012

La Lettre de la Thyroïde
Déficience iodée, amiodarone, grossesse, cancers à bas risque, art et goitre…
Sommaire Lettre N°4 – Mars 2012
   

[ÉDITO] La France est-elle encore un pays de déficience iodée ?
Jean-Louis Wémeau, Philippe Caron

[L’ACTUALITÉ COMMENTÉE]

La poursuite de l’amiodarone ralentit la restauration de l’euthyroïdie chez les patients présentant une hyperthyroïdie induite par l’amiodarone de type 2 et traités par prednisone – Juliette du Payrat, Françoise Borson-Chazot

Évaluation biologique de la fonction thyroïdienne pendant la grossesseMichèle d’Herbomez

[MISE AU POINT] Quelle prise en charge pour les cancers thyroïdiens de bas risque ? Le débat est relancé ! T. Meas, I. Faugeron, M.E. Toubert

[HISTOIRE] Art et goitre – Jean-Louis Schlienger

   
Editorial

La France est-elle encore un pays de déficience iodée ?
Jean-Louis Wémeau (Lille), Philippe Caron (Toulouse)

Lors des Journées internationales H.P. Klotz de mai 2011 à Paris consacrées à la thyroïde, dans son rapport sur la prévalence de la déficience iodée en Europe, le Pr Michaël Zimmermann, président de l’International Council for the Control of Iodine Deficiency Disorders (ICCIDD), a placé la France parmi les 14 pays européens encore en état de déficience iodée (iodurie moyenne < 100 µg/l). Elle figurait ainsi aux côtés de la Belgique, de la Norvège, du Portugal et de la Russie… Trente et un pays européens ont corrigé la carence iodée (iodurie entre 100 et 300 µg/l). L’Arménie et la Géorgie étaient en surcharge iodée (iodurie > 300 µg/l). Les informations étaient insuffisantes pour 6 pays, dont le Royaume-Uni et Israël (1).

De fait, l’enquête SUVIMAX (2) avait fait état, chez 12 735 adultes, d’une iodurie moyenne de 85 µg/l chez les hommes et de 82 µg/l chez les femmes, le déficit étant présent dans l’ensemble des régions françaises avec un certain gradient Ouest-Est. Pour une fois, le Nord-Pas-de-Calais apparaissait un peu mieux loti (94-95 µg/l), tandis que la palme du déficit incombait à la région Rhône-Alpes (74-75 µg/l). Une telle situation, préjudiciable à la prévention des goitres, des nodules, des cancers peu différenciés, des dysfonctions induites par l’iode, du déficit intellectuel des enfants nouveau-nés, justifierait que soient poursuivies auprès des pouvoirs publics les démarches visant à optimiser en France l’apport iodé.

Pourtant, un autre document officiel, resté confidentiel, produit en France par l’USEN de l’Institut de veille sanitaire, a fait état d’une iodurie moyenne de 136 µg/l, le 20e percentile étant à 72 µg/l (3). L’enquête, réalisée en 2006-2007, concernait des adultes âgés de 18 à 74 ans, excluant les femmes enceintes ou allaitant, les sujets soumis à des médications susceptibles de modifier l’iodurie (traitement des dysthyroïdies, amiodarone) et les sujets dont l’iodurie excédait 600 µg/l. Le nombre de sujets évalués n’a pas été précisé, pas plus que la proportion hommes/femmes. L’analyse géographique ne révélait pas de différence significative entre les différentes régions étudiées. Seuls 48,6 % des ménages déclaraient utiliser un sel de table ou de cuisine enrichi en iode, 42,9 % pour la cuisson des aliments.

On comprend mal les différences avec les constatations effectuées précédemment en France. Aucune mesure spécifique n’a en effet été entreprise depuis 1996 pour que soit modifié chez nous l’apport iodé. De plus, pour la correction de la déficience iodée, recommandation a été faite par l’OMS que plus de 90 % des foyers utilisent un sel enrichi en iode. Certes, il y a en France d’autres sources alimentaires d’iode, et notamment le lait. Mais cet argument apparaît assez peu convaincant.

Par ailleurs, peut-on affirmer qu’en toutes circonstances, les besoins en iode sont correctement assurés, notamment chez les très jeunes enfants, dans les populations en état de précarité, mais aussi chez les femmes enceintes ou allaitant ? En effet, toutes les enquêtes réalisées en France entre 1996 et 2004 ont fait état d’une iodurie moyenne comprise entre 50 et 87 µg/l chez les femmes enceintes (4).

La recommandation faite auprès des populations de réduire la consommation de sel (en dessous de 5 g/j) a même conduit l’ICCIDD à prôner auprès des pouvoirs publics l’augmentation de l’enrichissement du sel à 20 à 40 g/kg (alors qu’il est de 15 à 20 g/kg actuellement pour le sel La Baleine et le sel Cérébos iodé) et l’iodation du sel industriel.

À l’heure de la réduction de l’apport en sel, des interrogations sur la situation thyroïdienne des femmes enceintes ou en situation de procréer, du statut hormonal et iodé du fœtus, il serait navrant qu’une note, certes importante mais imparfaite, conduise à singulariser à nouveau la France, et à abandonner les recommandations internationales actuelles : moins de 5 g/j de sel, mais nécessairement sous forme de sel enrichi en iode (20 à 40 g/kg), compléments nutritionnels enrichis en iode (150-200 µg/j) avant la conception et tout au long de la grossesse et de l’allaitement (5, 6). D’autres enquêtes sont indispensables, auxquelles le Groupe de recherche sur la thyroïde (GRT) se doit d’apporter sa contribution.

Références bibliographiques

1. Zimmermann MB, Andersson M. Prevalence of iodine deficiency in Europe in 2010. Ann Endocrinol (Paris) 2011;72:164-6.
2. Valeix P, Zarebska M, Preziosi P, Galan P, Pelletier B, Hercberg S. Iodine deficiency in France. Lancet 1999;353:1766-7.
3. Institut de veille sanitaire : l’état de santé de la population en France. Suivi des objectifs annexés à la Loi de Santé Publique. Rapport 2009-2010.
4. Caron P, Glinoer D, Lecomte P, Orgiazzi J, Wémeau JL. Statut iodé en France. Apport iodé des femmes enceintes et allaitant. Ann Endocrinol (Paris) 2006;67:281-6.
5. Zimmermann MB. Iodine deficiency. Endocr Rev 2009;30:376-408.
6. Campbell N, Dary O, Cappuccio FP, Neufeld LM, Harding KB, Zimmermann MB. Collaboration to optimize dietary intakes of salt and iodine: a critical but overlooked public health issue. Bull World Health Organ 2012;90:73-4.

L'actualité commentée

La poursuite de l’amiodarone ralentit la restauration de l’euthyroïdie chez les patients présentant une hyperthyroïdie induite par l’amiodarone de type 2 et traités par prednisone
Juliette du Payrat, Françoise Borson-Chazot (Lyon)

Bogazzi F, Bartalena L, Tomisti L, Rossi G, Brogioni S, Martino E. Continuation of amiodarone delays restoration of euthyroidism in patients with type 2 amiodarone-induced thyrotoxicosis treated with prednisone: a pilot study. J Clin Endocrinol Metab 2011;96(11):3374-80.

L’hyperthyroïdie induite par l’amiodarone (HIA) de type 2 se caractérise par une élévation des taux sériques d’hormones thyroïdiennes par un mécanisme de thyroïdite destructrice. C’est la plus fréquente des HIA. Elle répond habituellement bien au traitement par glucocorticoïdes. Néanmoins, la rapidité de la restauration de l’euthyroïdie est cruciale, en raison du caractère délétère de la thyréotoxicose sur la cardiopathie sous-jacente, responsable d’une surmortalité.

Cette étude a évalué l’impact de la poursuite ou de l’interruption de l’amiodarone sur la restauration de l’euthyroïdie, chez des patients traités par glucocorticoïdes pour une HIA de type 2.

Il s’agit d’une étude de cohorte, rétrospective, réalisée dans le service d’endocrinologie de l’Université de Pise. Quatre-vingt-trois patients consécutifs ont été inclus entre 2003 et 2008 pour un suivi de 1 an. Le groupe de 8 patients chez qui l’amiodarone avait été poursuivie (groupe AMIO-ON) a été apparié à un groupe de 32 patients chez qui elle avait été suspendue (groupe AMIO-OFF). Tous les patients ont été traités par prednisone orale, instaurée à 0,5 mg/kg/j, puis diminuée progressivement par paliers de 0,1 mg/kg/j tous les 7 à 15 jours et arrêtée après obtention de l’euthyroïdie.

Le temps nécessaire à la normalisation du taux d’hormones thyroïdiennes circulantes était similaire dans les 2 groupes (24 jours pour le groupe AMIO-ON et 31 jours pour le groupe AMIO-OFF ; p = 0,326). En revanche, le temps nécessaire à l’obtention d’une euthyroïdie persistante, définie par un bilan thyroïdien restant normal 6 mois après l’arrêt des glucocorticoïdes, était significativement plus long dans le groupe AMIO-ON (140 jours) que dans le groupe AMIO-OFF (47 jours ; p = 0,011). Dans le groupe AMIO-ON, 5 patients sur 7 (71 %) ont présenté une récidive nécessitant un nouveau traitement après un premier passage en euthyroïdie, et 2 patients ont dû être traités par thyroïdectomie totale : l’un pour hyperthyroïdie persistant après 1 an de traitement, l’autre pour récidive de la thyréotoxicose entraînant une détérioration de l’état cardiaque. Dans le groupe AMIO-OFF, on a observé un épisode de récidive chez seulement 3 patients sur 32 (9,4 % ; p = 0,002).

Cependant, le taux final de non-guérison, bien que nettement plus élevé dans le groupe AMIO-ON (25 %) que dans le groupe AMIO-OFF (3 %), n’était pas significativement différent entre les groupes, vraisemblablement en raison du faible nombre de patients.

En conclusion, le maintien de l’amiodarone est associé à un temps de traitement plus long avant obtention de l’euthyroïdie et un taux de récidive plus élevé. Si l’état cardiaque le permet, il est préférable d’interrompre l’amiodarone. En revanche, en cas de cardiopathie non stabilisée nécessitant la poursuite de l’amiodarone, un traitement chirurgical doit être envisagé afin de limiter la durée d’exposition cardiaque aux effets de l’hyperthyroïdie.

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Évaluation biologique de la fonction thyroïdienne pendant la grossesse

Michèle d’Herbomez (Centre de biologie-pathologie, CHRU de Lille)

1. Abalovich M, Amino N, Barbour LA et al. Management of thyroid dysfunction during pregnancy and postpartum: an Endocrine Society Clinical Practice Guideline. J Clin Endocrinol Metab 2007;92(8 Suppl):S1-47.
2. Stagnaro-Green A, Abalovich M, Alexander E et al. ; American Thyroid Association Taskforce on Thyroid Disease During Pregnancy and Postpartum. Guidelines of the American Thyroid Association for the diagnosis and management of thyroid disease during pregnancy and postpartum. Thyroid 2011;21:1081-125.
3. Anckaert E, Poppe K, Van Uytfanghe K, Schiettecatte J, Foulon W, Thienpont LM. FT4 immunoassays may display a pattern during pregnancy similar to the equilibrium dialysis ID-LC/tandem MS candidate reference measurement procedure in spite of susceptibility towards binding protein alterations. Clin Chim Acta 2010;411(17-18):1348-53.

Quatre ans après la publication de recommandations sur la prise en charge des dysfonctions thyroïdiennes pendant la grossesse (1), un nouveau consensus américain vient d’être édité (2), car des informations permettant d’éclaircir certains points ont été publiées dans ce laps de temps. L’évaluation biologique de la fonction thyroïdienne, dans ce contexte, peut poser problème, et ses résultats ne sont pas toujours bien interprétés. Il est actuellement recommandé d’avoir des références trimestre-spécifiques pour les dosages de TSH et de T4 libre. Pour les taux de TSH, si le laboratoire ne les possède pas, il est conseillé d’utiliser les références suivantes :
• au premier trimestre : 0,1 < TSH < 2,5 mUI/l ;
• au deuxième trimestre : 0,2 < TSH < 3 mUI/l ;
• au troisième trimestre : 0,3 < TSH < 3 mUI/l.

Ce qui intègre la potentielle activité thyrotropique de l’HCG classiquement observée aux premier et second trimestres.

Les méthodes de référence pour l’estimation de la forme libre de T4 sont la dialyse à l’équilibre (non utilisée en pratique clinique) et les techniques combinant la chromatographie liquide et la spectrométrie de masse (CL/MS) de plus en plus accessibles. Une équipe belge de Gand (L.M. Thienpont et al.) [3] travaille sur la recalibration et l’harmonisation des tests biologiques thyroïdiens. Elle a réalisé une étude comparative des performances, lors de la grossesse, des dosages automatisés de T4L versus la méthode de référence (CL/MS). Avec la CL/MS, elle a observé des diminutions des moyennes de 8,8 % au premier trimestre et de 29,1 % au second trimestre ainsi qu’une stabilisation au troisième trimestre. Deux des 3 méthodes automatisées ont donné un profil comparable à la méthode de référence. Ceci valide l’utilisation de l’estimation de la T4L pendant la grossesse.

Mise au point sur...

Quelle prise en charge pour les cancers thyroïdiens de bas risque ?
Le débat est relancé !

T. Meas, I. Faugeron, M.E. Toubert (Service de médecine nucléaire, hôpital Saint-Louis, Paris)

Clerc J, Bienvenu-Perrard M, Pichard de Malleray C et al. Outpatient thyroid remnant ablation using repeated low 131-iodine activities (740 MBq/20 mCi × 2) in patients with low-risk differentiated thyroid cancer. J Clin Endocrinol Metab 2012;97(3).

La prise en charge des cancers thyroïdiens différenciés (CTD) est toujours débattue, et la question se pose notamment d’un traitement complémentaire par iode 131 après la chirurgie et, en cas d’IRAthérapie, à quelle dose. L’article de J. Clerc paru en janvier 2012 dans le Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism relance le débat. Cette équipe publie ses données rétrospectives sur l’utilisation de « mini-doses » d’iode 131. Les auteurs ont donné 2 fois 740 MBq à environ 6 mois d’intervalle, dose choisie parce qu’elle permet un traitement ambulatoire. Le but principal de cette étude était de vérifier l’efficacité de ce traitement sur l’ablation des tissus thyroïdiens résiduels. Cent soixante patients consécutifs ont été inclus entre 2001 et 2011. Les critères d’inclusion étaient : un cancer thyroïdien différencié de bas risque, soit un cancer papillaire ou folliculaire T1(m) > 5 mm /Nx ou N0. La prise d’iode 131 a été réalisée sous stimulation par TSH humaine recombinante (rhTSH, Thyrogen®, Genzyme) ou en sevrage de L-thyroxine. Une évaluation complète a été réalisée à chaque visite : échographie cervicale, scintigraphie à l’iode 131 couplée au Spect-CT et dosage de la thyroglobuline et des anticorps antithyroglobuline en stimulation. Les critères choisis pour définir une ablation étaient un taux de fixation cervicale inférieur à 0,1 % à la scintigraphie post-740 MBq 131I, une concentration en thyroglobuline inférieure à 1 ng/ml sous stimulation et une échographie-doppler cervicale négative.

La grande majorité des patients (70 %) avaient un cancer T1 et T1m de plus de 10 mm ; 51 % avaient eu un curage ganglionnaire associé. Le taux circulant moyen en thyroglobuline était, au moment du premier traitement, de 12,0 ± 28,3 ng/ml. Les patients avec des anticorps antithyroglobuline positifs (n = 26) ont été exclus de l’étude. Neuf patients ont eu une exploration scintigraphique positive, c’est-à-dire des fixations en dehors du lit thyroïdien, et ont été exclus de l’analyse principale. Parmi eux, on note 1 cas de métastases pulmonaires, 1 cas de métastase osseuse, 3 cas d’adénopathies médiastinales et 4 cas d’adénopathies cervicales.

L’ablation a été obtenue chez 90,1 % des patients après 2 mini-doses d’iode 131. De plus, les patients considérés comme ayant du tissu thyroïdien résiduel avaient un pourcentage de fixation cervicale très faible (0,11 %) et une concentration moyenne de thyroglobuline de 1,65 ng/ml, soit un pourcentage de succès de 95,5 % si les critères retenus sont une fixation cervicale en dessous de 0,2 %, une thyroglobuline circulante inférieure à 2 ng/ml et des anticorps antithyroglobuline négatifs.

Après chirurgie seule (thyroïdectomie totale ou subtotale), 10 % des patients étaient déjà sans résidus thyroïdiens. De plus, la première mini-dose permettait d’obtenir une ablation chez 75,9 % des patients. En analyse multivariée, les facteurs prédictifs de succès de l’ablation complète après une mini-dose étaient la stimulation par rhTSH (OR = 6,5 ; IC95 : 1,7-22,4 ; p < 0,006) et une concentration en thyroglobuline inférieure à 10 ng/ml (OR = 13,9 ; IC95 : 2,5-76,4 ; p < 0,003). Le principal facteur prédictif d’une ablation complète après une seconde dose était le taux de thyroglobuline inférieur à 10 ng/ml à la première dose (OR = 10,9 ; IC95 : 1,1-117,2 ; p < 0,048).

Un suivi prolongé sur 42 mois a été possible chez 81 patients et n’a pas montré de récidive de la maladie.

Ces données montrent l’efficacité de ce protocole et son intérêt dans la détection de métastases non diagnostiquées par l’échographie cervicale seule. De plus, il permet un traitement en ambulatoire des patients et réduit le coût de la prise en charge de ces cancers à bas risque. Les auteurs soulignent aussi le fait que, pour une grande proportion de patients, le protocole pourrait être réduit à une seule mini-dose.

Enfin, les auteurs posent la question de savoir si les cancers thyroïdiens T2N0-Nx pourraient également bénéficier de cette prise en charge allégée.

Discussion

Pour les médecins nucléaires, dès qu’une thyroïdectomie totale a été réalisée, la stratégie actuelle dans les CTD de bas risque est la désescalade thérapeutique. Depuis 2009 notamment, les recommandations internationales suggèrent une réduction des indications de l’IRAthérapie, puisque les patients porteurs d’un cancer de moins de 1 cm, y compris les multifocaux (dont la somme est inférieure à 1 cm), ne relèvent plus du traitement complémentaire par iode 131. De plus, des publications récentes suggèrent aussi une baisse des doses nécessaires à l’ablation (30 à 54 mCI, soit 1,11 à 2 GBq). L’idée générale est de réserver les indications de l’iode 131 aux patients à risque de récidive ou de maladie persistante. Cependant, se pose la question du suivi de ces patients en l’absence d’ablation isotopique. En particulier, quid du dosage de la thyroglobuline (qui est dépendante du taux de la TSH…) et des anticorps antithyroglobuline ?

Le protocole de mini-doses a pour avantage de permettre un bilan d’extension du cancer au moment du diagnostic (en particulier chez les patients opérés pour un goitre multinodulaire, donc Nx, chez lesquels le diagnostic de cancer est une découverte histologique). Contrairement à l’échographie, dont on connaît le caractère très opérateur-dépendant, la scintigraphie post-thérapeutique avec acquisition par Spect-CT permet aujourd’hui un bilan d’extension très précis, ce qui facilite la conduite à tenir ultérieure. De plus, l’ablation du tissu thyroïdien résiduel permet de bien codifier le suivi (qui sera prolongé) de ces patients et, ainsi, de faciliter la surveillance ultérieure, notamment biologique (dosage de thyroglobuline qui doit rester indétectable sous Levothyrox®, pour une TSH comprise entre 0,3 et 2 mUI/l, anticorps antithyroglobuline négatifs ou en décroissance régulière jusqu’à la négativité, obtenue habituellement dans les 3 années qui suivent l’ablation).

Il s’agit aussi d’une méthode ambulatoire, ce qui réduit considérablement le coût mais aussi le stress engendré par le diagnostic de cancer. Cette méthode n’encombre pas les chambres de thérapie métabolique, qui restent réservées aux patients à risque de récidive ou de maladie persistante. D’autre part, pour plus de 75 % des patients, ce protocole pourrait être réduit à une seule mini-dose, ce qui peut être prédit par le taux de thyroglobuline postopératoire (seuil à 10 ng/ml).

Dans cette étude rétrospective, avec un effectif composé avant 2009, on remarque des patients avec un cancer infracentimétrique unique (15 %) ou multifocal (< 10 mm) [15 %] traités par mini-doses : ces patients, depuis le consensus de 2009, ne relèvent plus, en théorie, d’une ablation systématique par iode 131. Si, dans ces conditions, un certain nombre de patients sont peut-être surtraités, la question de la surveillance se pose également, notamment par l’échographie, qui est une technique opérateur-dépendante, et par le dosage de la thyroglobuline, dont l’interprétation peut être délicate, fonction du tissu thyroïdien restant après thyroïdectomie totale variable d’un acte à un autre. Finalement, comment faut-il surveiller ces patients en l’absence d’ablation, en l’absence de données consensuelles ? A-t-on le droit de définir des seuils de thyroglobuline et d’anticorps antithyroglobuline ? À quel rythme doit-on les surveiller ?

D’autre part, parmi cette cohorte de CTD classés T1N0 ou Nx, donc à bas risque, on est surpris de retrouver chez 9 des 160 patients (soit 5,6 %) une scintigraphie positive, et chez 5 patients (soit 3,1 % de l’effectif global) des localisations à distance (os, poumon et adénopathie médiastinale) qui n’auraient pas été détectées si le traitement par iode 131 n’avait pas été effectué, selon les recommandations Ata 2009. Les 4 autres patients présentant des adénopathies cervicales auraient sans doute été détectés par l’échographie cervicale. Et, dans ce sous-groupe de 9 patients, le taux de thyroglobuline n’était pourtant pas différent de celui du reste de la population de l’étude…

Il s’agit ici d’une étude rétrospective qui montre l’efficacité ablative du protocole par mini-doses. Pour pouvoir l’appliquer à plus grande échelle, une étude prospective est nécessaire, avec un suivi minimum de 5 ans.

Histoire

Art et goitre
Jean-Louis Schlienger

Statue de sainte Élisabeth et mendiant, Fribourg, Suisse (Photo : Dr Luc Westphal).
Figure. Statue de sainte Élisabeth et mendiant, Fribourg, Suisse (Photo : Dr Luc Westphal).

La représentation des goitreux par les peintres de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance est loin d’être exceptionnelle. Le fait que cette disgrâce ne soit pas escamotée d’un coup de pinceau a plusieurs explications possibles.

 

La représentation peut être fortuite, par fidélité au modèle de la part de peintres soucieux de réalisme et de vérité anatomique à l’époque de Vésale. Elle rappelle la fréquence du goitre, endémique en ces temps où les produits marins pourvoyeurs d’iode avaient une diffusion restreinte.

Elle peut aussi s’inscrire dans une symbolique complexe, comme l’a soutenu J.B. Ferriss dans un article documenté paru dans Thyroid (1). Chez une jeune femme, un goitre discret, renflement tout en douce rondeur à la base du cou, serait un accessoire à connotation érotique qui renvoie à d’autres rondeurs féminines. Plus visible, parfois en sonnaille ou bilobé de façon caricaturale, le goitre sied aux sujets de basse condition, dont il renforce l’aspect misérable. Il inspire la répulsion chez les tortionnaires, traîtres et malfrats de toutes espèces.

La représentation du goitre en statuaire est moins banale. Une statue de sainte Élisabeth traditionnellement accompagnée d’un mendiant, située à l’angle d’une maison de Fribourg, en Suisse, illustre la double symbolique du goitre (figure). Celui de la sainte à peine suggéré comme un attribut de beauté, et celui du mendiant volumineux et hideux pour renforcer un sentiment mêlé de pitié et de répulsion. Il est remarquable que cette statue se trouve en Suisse Centrale, berceau du crétinisme par carence iodée. Un recensement systématique des portraits peints dans cette région entre le XIVe et le XXe siècle relève une fréquence impressionnante des goitres : 41 % chez les femmes et 24 % chez les hommes (2). Les artistes sont bien les témoins des temps et des lieux où ils travaillent.

Références bibliographiques

1. Ferriss JB. The many reasons why goiter is seen in old paintings. Thyroid 2008;18(4):387-93.
2. Als C, Stüssi Y, Boschung U, Tröhler U, Wäber JH. Visible signs of illness from the 14th to the 20th century: systematic review of portraits. Br Med J 2002;325(7378):1499.