La Lettre de la Thyroïde
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Sommaire Lettre N°8 - Septembre 2014
   

[ÉDITO]

• Gène de la pendrine :  sa responsabilité en pathologie thyroïdienne et générale s’accroît
Jean-Louis Wémeau (Lille)

[MISES AU POINT SUR...]

• L'HIFU : une alternative possible pour la prise en charge des goitres nodulaires bénins volumineux et hyperfonctionnels
Fritz-Line Vélayoudom-Céphise (Pointe-à-Pitre, Guadeloupe)

• Échographie des nodules thyroïdiens de score Bethesda III (atypies ou lésion folliculaire de signification indéterminée)
Gilles Russ (Paris)

[L'ACTUALITÉ COMMENTÉE]

Interactions médicamenteuses avec la L-Thyroxine : du nouveau !
Bernard Goichot (Strasbourg)

[L'IMAGE COMMENTÉE]

• Les éponymes du goitre exophtalmique
Jean-Louis Schlienger (Strasbourg)

   
Editorial

Gène de la pendrine :  sa responsabilité en pathologie thyroïdienne et générale s’accroît
Jean-Louis Wémeau (Lille)

En 1896 dans le Lancet, Vaughan Pendred a rapporté l’association de goitre et de surdité chez 2 sœurs d’une famille de 10 enfants. En l’absence d’évidence d’hypothyroïdie et de carence iodée, il indiquait son incompréhension de la pathologie, livrant aux générations futures la charge d’en assurer l’explication. En 1927, la transmission autosomique récessive de l’affection a été établie dans 5 familles de l’Est londonien. Un trouble de l’organification des iodures a fourni l’explication du goitre, ce qu’ont démontré en 1958 Morgan et Trotter par le test de chasse au perchlorate. Une étape décisive – un siècle après la description de la maladie – est venue de la caractérisation en 7q31 d’un gène codant pour un transporteur d’anions. Éloquemment, les altérations du trafic de l’iode au sein de la thyroïde, celles du chlore altérant la partition de la cochlée, ont fourni une explication à la constitution du goitre et de l’hypoacousie. Elles ont conféré une cohérence à la coïncidence syndromique, si longtemps inexpliquée.
On a aussi caractérisé des mutations du gène PDS (SLC26A4) dans un certain nombre de surdités familiales isolées, ayant pour particularité un élargissement de l’aqueduc vestibulaire (EVA) reconnu en tomodensitométrie et en imagerie par résonance magnétique. Dans une série de 42 sujets évalués à Lille avec EVA et mutation diallélique de SLC26A4, 19 étaient authentifiés comme syndromes de Pendred avec un goitre dans 15 cas, une hypothyroïde dans 15 cas (subclinique 4 fois, congénitale 6 fois) ; 23 avaient une surdité familiale isolée avec EVA. Chez les 19 sujets avec syndrome de Pendred, le test au perchlorate était significatif seulement dans 10 cas, toujours négatif dans les EVA isolés (1). Clairement le test au perchlorate ne doit plus être considéré comme l’argument essentiel de la reconnaissance de la maladie. La pierre angulaire en est désormais l’évaluation radiographique de l’oreille interne, complétée seulement en cas d’anomalie, par la recherche de la mutation de PDS. La diversité d’expression de l’atteinte thyroïdienne dans les Pendred, l’absence d’atteinte thyroïdienne dans les EVA isolés est imparfaitement comprise. La pendrine est pourtant clairement authentifiée comme un transporteur de l’iode au pôle apical du thyréocyte (2). Dans un éditorial récent, Peter Kopp suggère des facteurs d’environnement ; dans le transfert de l’iode vers la colloïde, il évoque aussi l’implication, soit simplement du gradient électrochimique, soit de l’autre transporteur ou effecteur apical encore hypothétique (3).
Soulignons aussi que SLC26A4 est maintenant communément cité comme l’un des gènes majeurs impliqués dans les goitres familiaux euthyroïdiens (4). D’aucuns considèrent par ailleurs que SLC26A4 constitue un gène de susceptibilité aux maladies thyroïdiennes auto-immunes (5).
Enfin étonnamment, lors de l’évaluation génétique systématique de 94 cas d’hypothyroïdie congénitale, une équipe pédiatrique allemande vient de reconnaître 2 cas de mutations homozygotes de SLC26A4 : ceux-ci concernaient des sujets atteints d’atrophie thyroïdienne. Un cas coïncidait avec une surdité, mais pour le moment, les observations ne donnent aucune information sur la morphologie de l’oreille interne. Ces mêmes mutations avaient déjà été identifiées au cours de syndromes de Pendred ou d’EVA isolés. Les auteurs évoquent une possible atrophie réactionnelle à l’excès de production de radicaux libres en réponse au défreinage de la TSH (6).
Désormais s’élargit l’implication du gène de la pendrine : certes dans les goitres avec surdimutité liée au syndrome de Pendred, mais aussi dans des surdités familiales isolées avec élargissement de l’EVA, dans les goitres familiaux,  peut-être en pathologie auto-immune, enfin dans les hypothyroïdies congénitales par atrophie. En attendant sa caractérisation dans des maladies rénales ? Car la pendrine s’exprime aussi comme un transporteur d’anions au niveau du néphron.

Références bibliographiques

  1. Ladsous M, Vlaeminck-Guillem V, Dumur V et al. Analysis of the thyroid phenotype in 42 patients with Pendred syndrome and nonsyndromic enlargement of the vestibular aqueduct. Thyroid 2014;24(4):639-48.
  2. Bizhnova A, Kopp P. Controversies concerning the role of pendrin as an apical iodide transporter in thyroid follicular cells. Cell Physiol Biochem 2011;28(3)485-90.
  3. Kopp P. Mutations in the Pendred Syndrome (PDS/SLC26A) Gene: An increasing Complex Phenotypic Spectrum from Goiter to Thyroid Hypoplasia. J Clin Endocrinol 2014;99(1):67-9.
  4. H Graf. Multinodular goiter: pathogenesis and management in The Thyroid Werner and Ingbar’s. L Braverman, DS Cooper, Tenth edition, Wolters Kluner edit. 2013, p 635-648
  5. Kallel R, Niasme-Grare M, Belguith-Maalej S et al. Screening of SLC26A4 gene in autoimmune thyroid diseases. Int J Immunogenet 2013;40(4):284-91.
  6. Kühnen P, Turan S, Fröhler S et al. Identification of pendrin (SLC26A4) mutations in patients with congenital hypothyroidism an “apparent” thyroid dysgenesis. J Clin Endocrinol Metab 2014;99(1):169-76.
mises au point

L'HIFU : une alternative possible pour la prise en charge des goitres nodulaires bénins volumineux et hyperfonctionnels
Fritz-Line Vélayoudom-Céphise (Pointe-à-Pitre, Guadeloupe)

En Europe, la prise en charge des goitres multinodulaires (GMN) bénins par l’iode 131 est une alternative bien connue à la chirurgie. Elle permet une réduction du volume thyroïdien de l’ordre de 35 à 50 % en 1 à 2 ans. Cependant, son efficacité est limitée en cas de fixation hétérogène du traceur par la thyroïde ou en présence de goitres de volume important. La stimulation par la TSH recombinante (rh-TSH), à faible dose, (0,1 ou 0, 3 mg) améliore la fixation de l’iode radioactif par le parenchyme thyroïdien. Elle est bien tolérée et optimise l’effet du traitement radio-isotopique sur le volume thyroïdien. L’inconvénient majeur est le risque de majoration initiale des signes compressifs et des concentrations d’hormone thyroïdienne. L’iode 131 est d’efficacité morphologique retardée, généralement évidente à 6 mois, ce qui en limite son utilisation pour les GMN volumineux ou symptomatiques, même si la répétition des doses est possible (1).
Des traitements invasifs minimes sont utilisés depuis plus de 20 ans comme alternative à la chirurgie. L’alcoolisation percutanée est réservée aux nodules bénins majoritairement kystiques. L’ablation thermique dont les effets bénéfiques ont été rapportés par plusieurs équipes en Europe, utilise des ultrasons focalisés de haute intensité (HIFU – High Intensity Focused Ultrasound). L’énergie thermique est délivrée directement par un laser YAG via des aiguilles de 21 gauges, introduites directement dans les nodules thyroïdiens, après une anesthésie locale et sous contrôle échographique. Les études ont été rarement randomisées ou incluent un faible nombre de sujets. Une publication récente précise l’effet à long terme du laser utilisé dans des nodules thyroïdiens bénins sans dysfonction associée. Cette étude prospective, multicentrique et randomisée était réalisée chez 200 sujets ayant un GMN symptomatique avec au moins un nodule de plus de 3 cm. Elle a comparé les effets du laser à ceux d’une simple surveillance clinique, biologique et échographique sur 3 ans. Elle a confirmé l’amélioration des symptômes cervicaux et la réduction de plus de 50 % du volume nodulaire après 12 mois du traitement par laser avec une stabilité maintenue à 3 ans. Aucun critère échographique n’était prédictif de la réponse au laser. Malgré son efficacité, de rares effets secondaires étaient notés (< 1 %) mais n’étaient pas négligeables avec un risque de parésie transitoire des cordes vocales soulignant l’importance d’une équipe experte dans la pratique du laser (2).
Une autre publication récente (de la même équipe avec l’impulsion première d’Ennio Papini) rapporte les résultats d’une étude pilote associant le laser au traitement radio-isotopique par iode 131. La population étudiée était porteuse d’un GMN symptomatique (avec des nodules de plus de 3 cm) toxique et présentait des contre-indications à la chirurgie ou l’avait refusée. Les sujets recevaient soit un traitement par laser associé à l’iode 131 (groupe A), soit l’iode 131 seul (groupe B). Dans les 2 cas, l’activité administrée d’iode 131 permettait de délivrer 200 Grays au parenchyme thyroïdien. Dans le groupe A, étaient constatées dès le premier mois : une amélioration clinique rapide des signes de compression cervicale, une normalisation de la TSH dans 60 % des cas sans nécessité de répéter la prise d’iode 131 et sans rechute de l’hyperthyroïdie, l’absence d’apparition d’auto-immunité thyroïdienne, une réduction du volume thyroïdien (de 16,6 ± 6,2 % versus 7,5 ± 3,6 % dans le groupe B). Cette efficacité morphologique persistait à 2 ans (71,3 ± 13,4 % versus 47,4 ± 5,5 %). Contrairement au groupe B, l’activité d’iode 131 dans le groupe A était < 600 MBq (environ 16 mCi).
En conclusion, les résultats de cette étude confirment la possibilité de l’association iode 131 + HIFU pour les GMN toxiques volumineux et compressifs. Chez les patients refusant la chirurgie ou ayant des contre-indications, cette combinaison thérapeutique permet d’obtenir une amélioration rapide des symptômes et une réduction précoce du volume du goitre avec une bonne tolérance. Toutefois, la proximité de la trachée, des récurrents et de l’œsophage nécessite une extrême prudence dans l’évaluation des marges d’administration de l’HIFU. Pour l’instant, l’HIFU, adapté particulièrement aux nodules peu kystiques n’a pas reçu d’autorisation en France (3).

Références bibliographiques

  1. Bonnema SJ, Fast S, Hegedüs L. The role of radioiodine therapy in benign nodular goitre. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab. 2014;28(4):619-31.
  2. Papini E, Rago T, Gambelunghe G et al. Long-term Efficacy of Ultrasound-guided Laser Ablation for Benign Solid Thyroid Nodules. Results of a Three-year Multicenter Prospective Randomized Trial. J. Clin Endocrinol Metab. 2014:jc20141826. [Epub ahead of print]
  3. Chianelli M, Bizzarri G, Todino V et al. Laser ablation and 131-iodine: a 24-month pilot study of combined treatment for large toxic nodular goiter. J Clin Endocrinol Metab 2014;99(7):E1283-6.

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Échographie des nodules thyroïdiens de score Bethesda III (atypies ou lésion folliculaire de signification indéterminée
Gilles Russ (Paris)

Les nodules de catégorie Bethesda III, comportant des atypies de signification indéterminée, représentent environ 10 % du total des nodules ponctionnés et le risque de carcinome est estimé entre 1 et 27 % (1). Leur prise en charge représente un souci quotidien pour le clinicien. Parmi les stratégies envisageables, l’une d’entre elles consiste à revenir vers le résultat échographique initial. Depuis 2009, le concept de concordance-discordance échographie-cytologie s’est développé et quatre publications principales entre 2012 et 2014 l’ont appliqué aux nodules de catégorie Bethesda III.

Dans son éditorial de la Lettre de la Thyroïde en novembre 2013, le Pr Jean-Louis Wémeau détaillait les différentes attitudes cliniques et modalités techniques permettant d’optimiser la gestion des cytologies indéterminées. L’une d’entre elles consiste à effectuer des corrélations entre échographie et cytologie. Elle a d’abord été évaluée afin de savoir quels nodules devraient bénéficier d’un second prélèvement cytologique (2), puis plus récemment dans les nodules de score Bethesda III.
En 2012, une étude prospective (3) sur 140 nodules de catégorie Thy 3, équivalent dans la classification britannique des nodules Bethesda III et IV (4), a évalué l’intérêt de l’élastographie en mode strain (compression manuelle). En considérant un seuil de 2 pour le ratio nodule/thyroïde saine, la sensibilité, la spécificité, les valeurs prédictives négative et positive étaient respectivement de 88, 92, 95 et 81 %. Étaient néanmoins exclus les nodules volumineux, isthmiques, liquidiens et calcifiés. En 2014, une seconde étude rétrospective de 169 nodules opérés de catégorie Thy 3, employant l’élastographie (5), obtenait une valeur prédictive négative de 96,9 % lorsque les nodules avaient un score 1 (exclusivement ou très majoritairement élastiques sur l’élastogramme en échelle de couleur).
Une autre façon d’aborder ce problème est d’utiliser simplement l’échographie en échelle de gris (mode B), sans avoir recours à l’élastographie. En 2013, une étude rétrospective sur 155 nodules scorés Bethesda III (6), a comparé les aspects échographiques au risque de malignité. Les nodules ayant des caractères de forte suspicion en échographie, TI-RADS 4B (forme ou contours irréguliers, microcalcifications ou hypoéchogénicité marquée) correspondaient dans 100 % des cas à des carcinomes. Les nodules TI-RADS 4A (réguliers et modérément hypoéchogènes) étaient des carcinomes dans 58 % des cas et les nodules TI-RADS 3 (très probablement bénins en échographie) dans 8 % des cas seulement, sachant que 55 % du total des nodules étudiés étaient des cancers et qu’il y avait donc probablement un biais de sélection. En 2014, une étude prospective employant des critères échographiques similaires (7), démembrait la catégorie Bethesda III en deux sous-catégories cytologiques : lésions folliculaires de signification indéterminée (FLUS) où l’anomalie essentielle est une architecture partiellement micro-vésiculaire et atypies de signification indéterminée (AUS) où il s’agit cette fois surtout d’atypies cyto-nucléaires, insuffisantes toutefois pour inscrire les nodules dans les catégories cytologiques suspecte ou maligne. Pour les nodules sans critères échographiques de forte suspicion (TI-RADS 3 et 4A), le risque de malignité était de 4 % dans les FLUS et 11 % dans les AUS. Pour les nodules avec des critères échographiques de forte suspicion (TI-RADS 4B), le risque de malignité était de 47 % dans les FLUS et 87 % dans les AUS.

Il existe donc au moyen de l’échographie une possibilité d’effectuer, parmi les nodules de catégorie Bethesda III, une stratification du risque de malignité. Les nodules dont l’élasticité est normale ou dont le score TI-RADS est 3 sont très probablement bénins et pourraient être surveillés. Les nodules de score TI-RADS 4A restent indéterminés. Les nodules de score TI-RADS 4B (en incluant les nodules de rigidité élevée en élastographie) sont suspects et doivent conduire à une prise en charge chirurgicale. Le coût additionnel de cette stratégie est faible à nul puisque l’étude des clichés de l’échographie initiale est en générale suffisante et il n’existe pas de problème de disponibilité de la technique.

En conclusion, face à un nodule ponctionné dont le résultat cytologique est de catégorie Bethesda III, la corrélation avec le score échographique et élastographique de risque (TI-RADS), permet de guider la prise en charge du patient.

Références bibliographiques

  1. Bongiovanni M, Spitale A, Faquin WC et al. The Bethesda System for Reporting Thyroid Cytopathology: a meta-analysis. Acta Cytol 2012; 56(4):333-9.
  2. Kwak JY, Kim EK, Kim HJ et al. How to combine ultrasound and cytological information in decision making about thyroid nodules. Eur Radiol 2009;19(8):1923-31.
  3. Cantisani V, Ulisse S, Guaitoli E et al. Q-Elastography in the presurgical diagnosis of thyroid nodules with indeterminate cytology. PLoS One 2012;7(11):e50725.
  4. British Thyroid Association, Royal College of Physicians. Guidelines for the management of thyroid cancer, Second Edition 2007. http://www.british-thyroid-association.org/news/Docs/Thyroid_cancer_guidelines_2007.pdf
  5. Rago T, Scutari M, Latrofa F et al. The large majority of 1520 patients with indeterminate thyroid nodule at cytology have a favorable outcome and a clinical risk score has a high negative predictive value for a more cumbersome cancer disease. J Clin Endocrinol Metab 2014;jc20134401. [Epub ahead of print]
  6. Gweon HM, Son EJ, Youk JH et al. Thyroid nodules with Bethesda System III cytology: can ultrasonography guide the next step? Ann Surg Oncol 2013;20(9):3083-8.
  7. Rosario PW. Thyroid nodules with atypia or follicular lesions
of undetermined significance (Bethesda category III): importance of ultrasonography and cytological subcategory. Thyroid 2014;24(7):1115-20.
L'actualité commentée

Interactions médicamenteuses avec la L-Thyroxine : du nouveau !
Bernard Goichot (Strasbourg)
D'après A Irving S, Vadiveloo T, Leese GP. Drugs that interact with levothyroxine: an observational study from the Thyroid Epidemiology, Audit and Research Study (TEARS).

Clin Endocrinol (Oxf). 2014 Jul 17. doi: 10.1111/cen.12559. [Epub ahead of print]

Les interactions médicamenteuses avec la L-Thyroxine sont assez nombreuses et semblent bien connues mais les données scientifiques sont globalement assez pauvres et surtout leur impact dans la pratique courante est mal connu. L’étude TEARS est une vaste étude épidémiologique (qui a déjà fait l’objet de plusieurs publications) portant sur une petite région écossaise dans laquelle toutes les données médicales (cliniques, biologiques, traitements prescrits, morbi-mortalité, etc.) ont été recueillies sur une longue période. Dans cet article, les auteurs ont croisé les informations issues de trois bases de données : la première est l’équivalent de notre état civil, associée aux dates de consultations avec le médecin traitant ; la deuxième comporte tous les résultats des examens biologiques de la population sur la période considérée ; la troisième toutes les prescriptions médicamenteuses. Plus de 10 000 résidents ont été identifiés comme prenant de la L-Thyroxine. Les auteurs ont analysé les variations de la TSH avant et après introduction de nouveaux médicaments, choisis parmi ceux réputés pour interagir avec la L-Thyroxine (sels de fer et de calcium), ceux pour lesquels une interaction est suspectée (inhibiteurs de la pompe à protons [IPP], antiH2, œstrogènes, corticoïdes) et deux autres classes, les statines à cause de la fréquence de leur prescription dans la population générale et les nouveaux traitements de fond (Disease Modifying anti-rheumatic drugs, DMARD) utilisés dans les rhumatismes inflammatoires pour pouvoir analyser un éventuel effet de l’immunosuppression (notamment en comparaison avec les corticoïdes).
Les résultats montrent qu’en l’absence de traitements interférant avec la L-Thyroxine, les fluctuations de la TSH des patients substitués sont d’amplitude mineure (0,005 à 0,7 mU/l) et donc sans signification clinique. Une augmentation significative de la TSH a été observée après introduction de fer, calcium, IPP et œstrogènes (médiane de variation comprise entre 0,18 et 0,36 mU/l, p compris entre 0,001 et 0,013), alors qu’une diminution significative de la TSH a été observée après introduction d’une statine (médiane – 0,21 mU/l, p < 0,001). Les variations de la TSH n’allaient cependant pas toujours dans le même sens pour une même molécule (ce qui explique une médiane qui peut paraître faible) mais pour tous les médicaments cités, une variation de la TSH de plus de 5 mU/l dans un sens ou dans un autre était observée chez 5 à 10 % des patients. Aucune variation significative n’était observée avec les corticoïdes, les antiH2 et les DMARD (mais peut être en raison d’un nombre de patients assez faible dans ce dernier groupe).
Les auteurs discutent les mécanismes pouvant expliquer cet effet de l’introduction de médicament sur l’équilibre du traitement substitutif. L’interaction au niveau de l’absorption de la L-Thyroxine est évidemment l’explication la plus fréquente mais ne suffit pas notamment pour la différence d’effet entre IPP et antiH2. Quant à l’effet de statines, il avait été évoqué jusqu’à maintenant dans des “case reports” mais jamais confirmé dans une étude de cette ampleur.
Cette étude confirme un certain nombre de données suspectées ou établies sur des petites cohortes. Son intérêt est surtout de donner une estimation de la fréquence et de l’amplitude de ce phénomène dans la “vraie vie”. Les données concernant l’interaction possible avec les statines doivent être connues des cliniciens même si son mécanisme n’est pour l’instant pas établi.

note historique

Les éponymes du goitre exophtalmique
Jean-Louis Schlienger (Strasbourg)

Les éponymes sont très ancrés dans le langage médical. On en dénombre plus de 6 000 qui ouvrent les voies de l’immortalité aux médecins qui ont été les “inventeurs” ou les “développeurs” de sites anatomiques, de syndromes ou de maladies. La terminologie éponyme n’est pas qu’un hommage rendu par les pairs ou une manifestation de vanité. Elle permet par un simple patronyme d’éviter bien des circonlocutions et descriptions. Toutefois, l’éponymie ne respecte pas toujours l’antériorité et ne s’affranchit pas du nationalisme ou de querelles d’écoles comme en témoigne la coexistence de plusieurs éponymes pour une même maladie, en témoigne celle de Graves-Basedow, pathologie qui n’est pas avare d’éponymes (Hashimoto, Riedel, De Quervain-Crile, Plummer et autres Refetoff…).
C’est assurément à un médecin perse du XIIe siècle, Sayyd Ismail al-Jarjani que l’on doit la première description du goitre exophtalmique consignée dans le Thesaurus du shah Khwarazn. Plus proche de nous, en respectant l'antériorité l'éponymie aurait dû honorer Caleb Hillier Parry  (1755-1822). Ce distingué clinicien installé dans l’élégante ville balnéaire de Bath qui avait de nombreux centres d’intérêts tels que la paléontologie ou l’élevage des moutons, décrivit fort convenablement 5 cas de goitres exophtalmiques dont le premier en 1786. Mais ses écrits ne furent publiés qu’en 1825 à titre posthume par son fils Charles (1). En guise de lot de consolation le nom de Parry sera associé à celui de Romberg pour désigner l’hémi-atrophie faciale. Entre temps, Giuseppe Flajani (1741-1808) exerçant à l’hôpital San Spirito de Rome, qui fut l’auteur de la première publication consacrée au goitre exophtalmique parue en 1802 aurait pu être consacré par l’éponymie. Mais c’est Robert James Graves (1797-1853) qui décrocha la palme en décrivant 3 cas typiques dans une monographie parue en 1835.

figure1Cet Irlandais de Dublin qui avait la particularité de parler si bien l’allemand qu’il fut pris pour un espion, avait séjourné sur le continent. À son retour, il tenta d’imposer l’enseignement au lit du malade qu’il avait vu pratiquer en Allemagne. “ [...] le cœur battait si fort qu’on pouvait l’entendre à 4 mètres […] les yeux étaient élargis à un tel degré que les paupières ne pouvaient les recouvrir pendant le sommeil […] le blanc des yeux était visible tout autour de l’iris […]” (2). Cette description saisissante lui valut d’être considéré comme le père du goitre exophtalmique par le monde anglo-saxon bien qu’il considérait que la tachycardie était le phénomène causal de cette maladie. Une telle erreur ne fut pas commise par Carl Adolph von Basedow (1799-1854).




figure1Ce prussien qui avait été interne des hôpitaux à l’Hôtel-Dieu de Paris en 1821-22 et qui exerçait à l’hôpital de Merseburg (entre Berlin et Leipzig) décrivit en 1840 la triade de Mersebourg associant un goitre, une exophtalmie et des palpitations (3). Il l’attribua à une dyscrasie du sang responsable d’une hypertrophie du tissu orbitaire et du myxoedème pré-tibial qu’il décrivit dans un second temps avec la cachexie  et les troubles de l’humeur. Il nota également la prépondérance féminine (comme Graves), l’amélioration durant la grossesse et l’aggravation durant le post-partum. D’autres médecins comme l’Ecossais James Begbie (1798-1869) ou l’Anglais Henry Marsh (1790-1860) qui contribuèrent à la connaissance du goitre exophtalmique de façon significative auraient également pu prétendre à l’éponymie.   
L’attribution d’un éponyme est un exercice délicat. Si l'on s’en réfère à l’antériorité, en occultant la trop lointaine contribution perse, Parry tient la corde. Mais l’excellence de la description de von Basedow et sa justesse de vue physiopathologique empêchent de le considérer comme un usurpateur. La position de Graves  est plus délicate à défendre et ne se justifie guère que par un certain chauvinisme anglo-saxon. En réalité, à une époque où l’objectivité et les normes s’imposent en médecine, c’est la terminologie orthonymique correspondant au plus près à l’entité clinique qui devrait s’imposer progressivement dans la littérature internationale (4). “Hyperthyroïdie auto-immune” (avec ou sans exophtalmie, avec ou sans goitre) est une appellation moins restrictive, plus informative et plus pragmatique que “Graves” ou “Basedow”, n’en déplaise aux nostalgiques d’une littérature médicale respectueuse des pionniers de la médecine.

Références bibliographiques

  1. Parry CH. Collection from unpublished medica writings 1825 Vol 2 P 111 (London Underwood).
  2. Graves RJ. Newly observed affection of the thyroid gland in females. Lond Med Surg J  1835;7: 516-20.3.
  3. Von Basedow CA  Exophtalmos durch hypertrophie der Zellgewebes in der augenhöhle  Wsch Ges Heilk 1840;14;197.
  4. Guillevin L. Vers la fin des éponymes en médecine ? Presse Med 2011;40(10):891-2.

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